Le corps, cet objet dont chacun serait le propriétaire, oblige de facto à entretenir la propriété en question. Entretenir une propriété exige du temps, de l'investissement et de l'engagement, afin d'éviter que celle-ci se dégrade le moins possible, car comme toute propriété, la valeur marchande pourrait en être affectée. Et c'est bien de valeur marchande dont il est ici question, car un corps affaissé, souffreteux, vieux et malade n'a pas de valeur marchande; il est plutôt une dépense collective, un rebut forcément indésirable que l'on parque dans un centre hospitalier de soins de longue durée ou dans un foyer de personnes âgées. Peu importe l'entrepôt où on le range, il doit être minimalement entretenu et maintenu jusqu'à ce que toute étincelle de vie sans échappe. Un nouveau slogan se met donc en place: atteindre une espérance de vie prolongée optimale et en santé, tant sur le plan physique qu'intellectuel, afin d'éviter la dégénérescence. Le lecteur aura donc compris que garder la forme exige un travail constant et permanent sur le corps pour n'ajouter, au bout du compte, que quelques années de vie, tout en espérant que ces quelques années de vie ajoutées soient passées sans souffrance et sans dégénérescence trop marquée, tout en sachant pour autant que la mort est l'inévitable but de se garder en forme. Comment en sommes-nous arrivés là et à faire de notre corps l'ultime identification à soi, un corps fluide et liquide en constante reconfiguration ? C'est la question à laquelle tentera de répondre cet essai.